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Le CR d'Olivier

Le 28 Février 2005

Par les frimas ambiants, un peu de réchauffé ça peut faire du bien. A suivre donc, le CR de l'Hivernale du Raid Normand un mois après la course. Bonne lecture aux motivés qui auront le courage d'aller au bout. Et la bonne soirée à tous.

Olivier

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L’orientation, c’est pour les bons. Des pointures qui savent autant se servir de leurs gambettes que de leur tête pour avancer. L’alliance suprême de la semelle et de la cervelle. Respect.

Pour moi, réussir à avancer un pied devant l’autre pendant des heures est déjà un exercice suffisamment subtil en soi pour que je n’ajoute pas à la difficulté un quelconque effort cérébral à produire. La simple idée de devoir déplier une carte IGN, je suis d’avance effondré. Aussi, quand je réponds à l’annonce de trois types qui cherchent un quatrième larron pour former une équipe en perspective de l’Hivernale du Raid Normand, je précise aussitôt : " Banco pour ce qui est de cavaler, les gars. Mais pour l’orienteur, faudra chercher ailleurs. " " Pas de problème, me répondent-ils, on est équipé. " Super. Je viens de gagner mon ticket pour un 46 bornes au cœur de la nuit, de l’hiver et d’un site classé Parc Naturel Régional. Tout pour palpiter sec.

Je ne crois pas si bien dire. Samedi 29 janvier, sur le coup des 22 heures, je sens mon palpitant qui commence à affoler sérieux. Sous mes yeux, quelque quatre cents drôles et drôlesses se tapent dans le dos, se passent de la pommade, se frictionnent le mollet, s’ajustent la frontale, passent et repassent leur attirail au peigne fin, croquent une barre et en collent quatre dans le camel-back, bref terminent leur mue avant de renaître raideurs. Plus je réalise où je suis et plus, dans mon petit coin, je me sens tendu comme un slip. Et si je ne tenais pas la distance ? Et si je me retrouvais à devoir planter mes coéquipiers au beau milieu de la forêt ? Et si, et si ? Tiens, on dirait ma fille. Mais elle, elle a deux ans et demi, et les questions existentielles c’est de son âge. Toi, ce qui est de ton âge, c’est le plaisir exponentiel que t’as à courir pendant des heures. Alors vas-y, et laisse tomber la gamberge.
Message reçu. D’ailleurs, dès les premières foulées vers 23 heures et des bananes, tout rentre dans l’ordre. Le coup de stress est resté au vestiaire et la course prend ses droits. Je ne sais pas où on va (je faisais le touriste, appareil photo en bandoulière, pendant que mes compagnons traçaient notre itinéraire sur les cartes IGN) mais on y va. Nous n’avons pas fait 5 km que, déjà, tout le monde est dans le bain. Adieu confort moderne. Nous voilà en train de patauger dans un champ façon rizière normande, avec de l’eau glacée jusqu’aux chevilles. Saisissante sensation… Ni plaisante, ni déplaisante, juste saisissante.
D’instinct, dans les équipes, tout le monde se réchauffe à la chaleur humaine. C’est le moment de resserrer les rangs, de se rassurer et de s’assurer qu’on pourra compter les uns avec les autres. Aux passages délicats, les mains se tendent entre coéquipiers, aux dérapages non contrôlés, les bons mots fusent. Pour moi, c’est clair depuis la première poignée de main quelques heures plus tôt : les types avec qui je suis embarqué ce soir, c’est du solide. Le style quadras qu’ont déjà pas mal roulé en course à pied, bien dans leurs basques et francs du collier. Un bon trio costaud, quoi.

Celui qui, en ce moment, hésite un peu à sauter pour passer le cours d’eau devant lui, c’est Jean-Luc, alias Raton Laveur sur les forums de discussion de course à pied. Pas que le petit mètre à franchir l’impressionne, mais, quinze jours plus tôt, il faut savoir que l’animal en a déjà pris pour 75 km et quelque 14 heures de course au Raid 28. Remettre ça aujourd’hui peut être jouable pour lui, mais à la condition de ne pas trop en demander tout de même à sa "vieille carcasse"… Exemples : ne pas faire le grand écart à froid dans la boue, et prendre le chemin du 46 km plutôt que la version longue de 65 km sur cette Hivernale du Raid Normand. Même topo pour celui qui, derrière, l’encourage et l’assure que tout va bien se passer. Quinze jours plus tôt, Michel, en prenait lui aussi pour plus de 16 heures à travers la Beauce. Quant à Alain, dit le Doc, qui tend la main de l’autre côté du ruisseau, il n’a pas de Raid 28 dans les pattes et ne demande qu’à faire profiter de sa fraîcheur au collectif. En bout de chaîne, je retiens Alain pour lui éviter d’être entraîné dans une possible gamelle avec Jean-Luc. La boucle est bouclée. Ratounet se lance. ?a passe ! C’est parti pour la nuit !

Chacun sa place, chacun sa mission. Au rang des plus balèzes, on trouve ex-?quo les co-orienteurs Alain et Michel. Chacun court le nez dans sa carte IGN et tire des plans en direct, non pas sur la comète, mais sur les chemins qu’il nous faut emprunter pour gagner les balises. Nul doute, à les écouter jargonner, qu’à ce genre de petit jeu, le binôme a du métier. Raison de plus pour leur confier les clés de la soirée. La mission de Jean-Luc est plutôt du genre balèze aussi : aller au bout de son idée de cumul Raid 28 / Raid Normand. En un mot : terminer, sachant qu’à l’évidence il est loin d’avoir récupéré de son passage dans la Beauce. La tâche la plus facile me revient (NDLA : Et c’est très bien comme ça). A l’approche d’une balise, je suis chargé d’ouvrir grand mes quinquets pour repérer l’objet de toutes nos convoitises et d’aller poinçonner notre petit passeport. A chaque balise son numéro, à chaque numéro sa case sur le passeport : au milieu un petit coup de poinçon à donner. L’effort cérébral à fournir n’est pas trop intense, je dois pouvoir m’en sortir les cuisses propres.
Les CP se suivent et nous entraînent de sentiers forestiers en chemins escarpés. ?a patauge dans la gadoue à qui mieux-mieux, ça court dans tous les sens, ça se perd, ça s’appelle, ça poinçonne, ça peste autant que ça jubile. En matière d’ultrafond, j’avais déjà connu la motivation de courir utile pour une bonne cause, le rendez-vous introspectif avec soi, la foulée partagée entre amis, mais la version ludique en orientation, je découvre. Me revoilà trente ans plus tôt à la belle époque des colos et des chasses au trésor. Cette nuit, la forêt est le terrain de jeu de grands enfants avec un troisième œil lumineux en haut du front, une poche d’eau qui leur est poussée dans le dos, mais toujours des pâtes de fruit et du pain d’épices plein les poches.

Au bout de trois heures, c’est net, les endorphines nous ont rejoints dans la forêt. Je suis dans la foulée d’Alain sur un sentier roulant et j’entends le rire de ma fille raisonner en boucle sous mon bonnet. Quelques heures plus tôt, au moment de lui faire un gros bisou et de charger les sacs dans la voiture, la pitchounette me demande :
-" Papa, i comment i sapel les copains pour couhir ? "
- " Ha, les copains pour couhir ma fille, i sapel Michel, Doc et Raton Laveur… "
Quinze fois, il faudra que je lui répète les pseudos de mes compagnons du jour. Le bonheur que lui a procuré l’évocation de ces simples noms me revient à présent en écho dans le ciboulot. Signe que le mental est au beau fixe.
Tout comme la météo d’ailleurs. Après une semaine de neige qui nous a fait craindre les conditions les plus farfelues pour notre sortie du week-end, la nuit qui nous enveloppe se révèle douce et clémente. Froide juste ce qu’il faut, sombre mais pas trop. Au loin, à travers les arbres, nous distinguons les petits lumignons haut perchés du pont de Brotonne. La première partie du tracé touche à sa fin. Nous n’allons pas tarder à basculer de l’autre côté de la Seine.
Un quart d’heure et une bonne grimpette plus tard, nous dominons le fleuve au sommet du pont. Les rares automobilistes qui croisent notre route nous encouragent à grands coups d’appels de phares. Est-ce l’exaltation ? Je sens soudain l’appel du sandwich venir me chatouiller les papilles. A ma demande, Ratounet plonge dans la poche arrière de mon sac et en ressort un sympathique casse-dalle au jambon. Les plaisirs simples de la vie.

Nos orienteurs en chef nous l’avaient annoncé, le nouveau versant de la Seine sur lequel nous allons à présent galoper ne ressemble en rien au précédent. Je confirme. D’un coup, le relief s’amenuise, la gadoue se "dégadouise", bref fini la mouise, libre à chacun de galoper à sa guise. Hip-hop.
Trop facile ! Au CP 7, cela doit faire quatre bonnes heures que nous sommes partis, nous choisissons d’aller pointer la balise en éclaireurs avec Alain. Michel et Jean-Luc, nos raideurs 28, nous attendront en retrait et s’octroieront une petite pause bien méritée. Sur le papier, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Sauf que, dans les faits, nous allons entamer là notre plus belle séquence galère de la nuit. La balise est planquée on ne sait où. Dans les parages, des dizaines d’équipes "jardinent" déjà depuis des plombes. Nous mettons notre tablier et nous joignons au bal. C’est vrai que l’expression consacrée de la course d’orientation est toute trouvée. Bien que dépourvu de binette et d’arrosoir, j’ai vraiment l’impression de ratisser la zone et de remuer la terre dans tous les sens dans l’espoir de voir fleurir la balise au détour d’un sentier.
Mais, une demi-heure plus tard, les jardiniers tournent toujours et les Athéniens n’ont rien atteint. Le moral commence à en prendre un léger coup, d’autant que nous avons le sentiment d’avoir exploré le moindre buisson dans un rayon de 200 m pour dénicher le précieux petit bout de tissu. La poisse. Michel et Jean-Luc, au bord de la glaciation polaire, nous rappellent à leur bon souvenir sur le portable.
- " Alors ????? "
- " Alors, donnez-nous encore cinq minutes. C’est pas possible qu’on ne trouve pas… "
Alain ronge son frein. Il faut dire que c’est le genre à se faire une attelle à chaque pouce pour être sûr de les coucher le plus tard possible quand ça va mal. Pour la énième fois, nous revenons sur le lieu de l’intrigue. Le chemin se sépare en deux. Nous avons tout ratissé à gauche, tout ratissé à droite, c’est certain. D’un coup, je vois Le Doc partir ventre à terre, tel le setter venant d’accrocher la piste d’un gibier. Tout droit ! Nom d’une balise en bois, qu’on est crétins. On a tout essayé sauf l’option la plus directe. Trente mètres plus loin, la balise est là qui nous nargue, perchée sur un petit monticule. Celle-là, j’ai un peu envie de la poinçonner avec les dents…
Alain n’a pas lâché. ça a payé. Si un jour il se réincarne en pitt-bull celui-là, je ne voudrais pas l’avoir accroché au mollet.

Cinq cents mètres plus loin, nos collègues sont au bord de la transformation en statue de glace. On leur présente nos excuses et le précieux poinçon, notre sésame pour repartir gonflés à bloc. Enfin presque…
Galère, Acte II. Les quatre protagonistes ont à peine recommencé à trottiner qu’un nouveau ressort de dramaturgie les stoppe dans leur élan. Changement de carte. On passe à la "spéciale CO". Soit. Sauf que la fraîcheur d’esprit n’est plus ce qu’elle était après bientôt cinq heures de course et une température à vous figer les neurones dans leur jus. Un bon quart d’heure durant, nous voyons passer des wagons d’équipes sans comprendre pourquoi le nôtre reste désespérément à quai. Le temps pour moi de compatir avec nos deux compagnons pour ce qu’ils viennent d’endurer dans la froidure. Paradoxalement, le plus dur dans ce genre de course, ce n’est pas de courir, c’est le repos… J’en profite pour récupérer la gore tex roulée en travers de mon sac et dévorer tout ce qui me tombe sous la main. Alain et Michel mettent finalement le doigt sur notre erreur d’aiguillage et reprennent leurs marques sur la carte. Le feu repasse au vert. Fin de la séquence, " On est humains, donc faillibles. " (NDLA : Et c’est très bien comme ça).

La suite est plus chasse au trésor que jamais. Les balises se succèdent au rythme d’une tous les quarts d’heure. Plus ou moins planquées. En tout cas, plus au point de frôler la "nervous break-down".

En chemin, j’observe soudain une oreillette qui pointe sous le bonnet de notre Ratounet. Pauvre vieux me dis-je, il n’a pourtant pas l’air si décati… A y regarder de plus près, il s’avère que l’objet n’est en rien destiné à pallier une quelconque déficience auditive mais, au contraire, à égayer l’esprit de notre ami pendant cette longue nuit. Curieux, je viens aux nouvelles.
- " Musique ? "
- " Non, au bout d’un moment tu reviens toujours aux mêmes morceaux, ça lasse. Je préfère les conférences. "
- " Ah… oui… les conférences… tiens, original… Et là, par exemple, il est question de quoi ? "
- " C’est sur Darwin. Plus exactement, sur les différences de vision entre Darwin et Lamarck (…) "
Honk !!! Je suis en pleine forêt de Brotonne, mon chrono s’est arrêté quand j’ai passé la gore-tex mais il doit être quelque chose comme 4 heures du matin, je trottine doucement et, à côté de moi, un type avec un bonnet et une lampe frontale vissée dessus est en train de m’entreprendre sur les différentes théories de l’évolution chez les naturalistes au début du XIXe… Je me pincerais bien, mais je sais que je ne rêve pas. " D’un côté, il y a ceux qui pensaient que l’évolution n’est due qu’au hasard, que le vivant modifie son organisation au gré des circonstances, et, de l’autre côté, ceux qui pensent qu’une sorte de puissance supérieure tire progressivement le vivant vers le haut. " Tout ça énoncé en toute tranquillité, genre c’est l’heure de l’apéro, il fait beau, on est en terrasse, tu reprendras bien une petite mousse pour faire passer les cahouettes Olivier ? Une bière avec plaisir mais, présentement, pour ce qui est de rebondir sur les thèses des gars Darwin et Lamarck les deux pieds collés dans la boue, je passe mon tour. Grand monsieur, Ratounet…
Je le laisse retourner tranquillement à ses chères études. Chacun sa façon de traverser la nuit. A son rythme. A l’écoute de l’autre et en même temps plongé dans son univers intime. (NDLA : Et c’est très bien comme ça).

De doux flocons de neige s’immiscent maintenant entre les branches. La magie opère.
Ainsi va notre course. Il faut bien le dire, de plus en plus souvent en mode marche qu’au petit trot. Aux alentours de 5 ou 6 heures du matin, nous parvenons à l’unique point de ravitaillement prévu au km 30. J’ai complètement perdu la notion du temps. Sans chrono et dépourvu de véritable sensation de fatigue, seule l’horloge interne de mon estomac me rappelle que le temps passe. Ce n’est pourtant pas faute de me faire les poches régulièrement : pain d’épices, crème de marrons, barres céréales, casse-dalle, Sporténine, pâtes de fruits, flotte, coca… Tout y passe, mais glisse sans laisser de traces… J’ai encore faim !
Heureusement, l’individu a plus d’un tour dans son sac. Je sors un petit sachet lyophilisé et me fais revenir une portion de pâtes avec l’eau chaude fournie sur place. Un petit thé par-dessus. En guise de dessert, j’avale une bonne rasade de la "gourdasse bleue" qui donne son nom au cocktail-maison que Michel promène serré contre son cœur depuis le départ et qui fricote gentiment avec les 70°. Efficace…

Pour continuer à motiver les troupes, Michel nous fait ensuite le coup des poteaux électriques. On court deux poteaux et on marche jusqu’au suivant. Plus basic et moins gouleyant que la gourdasse, mais efficace aussi. Quand le confort électrique déserte les zones où nous nous engageons, Michel opère certaines variations agricoles et paysagères pour trouver de nouveaux repères et entretenir notre mouvement. Tant et si bien que, l’air de rien, nous retrouvons notre fidèle pont de Brotonne aux dernières heures de la nuit.

Le même, mais dans l’autre sens cette fois. Je découvre à mes dépens qu’un grand pont peut parfois en cacher un petit, et que le plus vicelard n’est pas toujours celui que l’on croit. Au pied du pont de Brotonne, la balise suivante est planquée sous un petit pont de rien du tout. Mais pour aller poinçonner, il faut s’immerger quasiment jusqu’aux genoux dans une eau qui, quelques jours plus tôt, voyait fondre la neige à ses côtés. Saisissante sensation… Ni plaisante ni déplaisante, juste saisissante…
Tiens, ça me rappelle un certain début de course. Justement, nous voilà revenus sur notre terrain de jeu de première partie de parcours. Donc retour aux sentiers escarpés et à la bonne grosse gadoue, tellement attachante. Oubliée toute idée de course à pied, nous accueillons le petit jour en mode marche. Aucun état d’âme : c’est le meilleur moyen pour profiter de la tranquillité ambiante. Qui plus est, ça grimpouille sec.

En haut d’une belle bosse, le dernier casse-dalle qui sommeillait encore dans mon dos vient se rappeler au bon souvenir de mes papilles. Idéal pour digérer la brochette de coups du cul que nous venons d’avaler. Quand il aperçoit le bout de Comté enfariné, Michel ouvre des billes de gosse devant un train électrique. Pas de problème : je pris le pain et le rompis. Religieusement, nous mastiquons à l’unisson, convaincus l’un et l’autre des vertus de la mastication pour des hommes de notre condition. Et ce n’est pas le bon Sigmund qui nous démentira (cf. "Régression orale et jouissance des sens chez le coureur d’ultrafond", in "Œuvres compettes", Tome XII, Sigmund Freud, Petite bibliothèque de psychanalyse, 1906).

Qui dit grimpettes dit aussi sympathiques descentes. Par deux fois, j’abandonne mes camarades, le temps d’un tout droit la tête dans la pente. Il fait maintenant suffisamment jour pour voir où l’on pose les pieds et mes jambes me permettent encore ce genre de petite fantaisie. Apprendre à descendre figure en bonne place parmi mes objectifs 2005 : une sorte de fixette. Fidèle aux conseils de Vincent Delebarre dans le précédent UFO Mag (j’ai eu la chance de lire l’article avant sa sortie), je m’applique à m’aligner le nombril à la perpendiculaire de la pente et à bien reposer les pieds à plat. Sur 50 mètres, ça paraît presque simple. Sur 3 km en montagne, quand tous les muscles sont à l’agonie, ça doit être un autre son de cloche…

La toute fin du parcours ne présente plus guère de difficultés. Il n’y a plus qu’à laisser aller. Oreillette à l’appui, Jean-Luc nous fait partager la bonne nouvelle de la matinée : " Les seins des Françaises sont plus conséquents aujourd’hui qu’il y a 10 ans. Au cours de la décennie, elles ont gagné une taille, passant d’une moyenne de 85B à 95-je-ne-sais-plus-très-bien. " Volonté divine ou adaptation à l’époque ? Darwin or not Darwin ? Toujours est-il qu’à l’unanimité nous nous réjouissons de la forme prise par cette évolution du vivant. Et ce n’est encore pas Freud qui nous blâmera de louer ainsi les merveilles de la nature (cf. "Sublimation, transfert et fantasmes débridés dans la pratique de l’ultra", in "Œuvres compettes", Tome XXXVII, Sigmund Freud, Petite bibliothèque de psychanalyse, 1908).

Alain et Michel ont, pour ainsi dire, replié leurs cartes. Les derniers kilomètres coulent de source pour nos rois de l’azimut. En aparté et en homme de bonne volonté, le Doc me glisse que je n’ai plus qu’à m’y mettre pour mon prochain raid. Sympa Alain, mais non, vraiment, ce n’est pas pour moi. " Je suis super admiratif de la façon avec laquelle toi et Michel vous nous avez pilotés toute cette nuit. Mais, pour rien au monde je n’aurais voulu être à votre place. " Rester concentré plus de dix heures sur une carte, se creuser le ciboulot à chaque carrefour, ne pas pouvoir laisser librement divaguer mes pensées au gré des heures… Non, autant me demander de courir les pieds attachés !

Arrivée en vue. Il fallait le faire et ils l’ont fait ! Nous certes, mais aussi les organisateurs… En même temps que nous redécouvrons le panneau d’entrée de la commune, je me dis qu’ils ne manquent pas d’humour d’avoir choisi un bled qui s’appelle "Le Trait" comme camp de base pour une course qui, par définition, est l’antithèse de la ligne droite.

Nous passons la ligne d’arrivée comme un seul homme, main dans la main, 10h28 plus tard. Une cheville pas bien pour l’un, des petits problèmes gastriques pour un autre, des lunettes en vrac pour le troisième… Peu importe. Manifestement, tout le monde termine bien dans ses basques. Nos cumulards Raid 28 / Raid Normand ont tenu leur pari. Les 43 balises ont toutes été poinçonnées sans exception. Les têtes sont restées au beau fixe malgré quelques belles séquences de jardinage à vous courir sur le haricot. Et l’équipée est restée soudée de bout en bout. Un beau tour de force pour ce qui me concerne, vu que je n’avais fait réellement connaissance avec mes coéquipiers que douze heures plus tôt.

La seule fausse note de ce tour d’horloge se produit dix minutes après notre arrivée. La trahison ultime que personne n’avait vu arriver : les douches sont froides ! Seul Jean-Luc a le courage d’aller au bout de ses envies, coûte que coûte. Décidément, grand monsieur le Ratounet ! Personnellement, j’aurais aimé savoir ce que Freud disait de la question. Voire Darwin. Mais, à ma connaissance, ni l’un ni l’autre ne s’est prononcé sur la douche froide et ses conséquences sur le coureur d’ultra à l’heure où les endorphines produisent leur feu d’artifice final. Dans le doute, je m’en remets donc à la bonne vieille sagesse populaire. Pour ce matin, ce sera : " A l’impossible, nul n’est tenu. " (NDLA : Et c’est très bien comme ça)

 

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